Ca faisait un moment que je n'avais pas mis d'interview sur mon blog. Aujourd'hui, j'ai décidé d'en remettre une. Je vous présente Alan Spade
L'interview
1/ Peux-tu me parler un peu de
toi ?
Mon
père travaillait pour Air France,
c’est pourquoi je suis né à Quito, en Equateur, à 3000 mètres d’altitude, où
nous sommes restés deux ans. Nous sommes ensuite allés dans le sud de la
France, puis à Abidjan en Côte d’Ivoire, puis de nouveau dans le sud de la
France. J’ai passé un DEUG de lettres modernes à l’université d’Aix en Provence
avant que je ne « monte à Paris » pour la suite de mes études. Il
doit m’être resté quelque chose de ces voyages, un goût pour l’étrange et
l’exotique. Le fait d’avoir passé une partie de mon enfance dans un autre pays
m’a peut-être aussi procuré un point de vue extérieur. L’adaptation à la vie en
France ne s’est pas faite sans heurts, cela dit. J’avais sept ou huit ans à mon
arrivée ici. Je crois que je ne m’attendais pas à un pays à ce point tourné
vers la performance.
2/ Comment devient-on écrivain ?
J'ai
pas mal lu dans ma jeunesse, aussi bien de la littérature classique que de la
SF, de la Fantasy, et des bandes dessinées. Et même des livres dont vous êtes
le héros. J’étais « tout le temps dans la lune » à l’époque, et
pourtant j'ai voulu me tourner vers le journalisme. Après des études en Ecole
de Journalisme, je me suis spécialisé
dans la critique de jeux vidéo. Ce n’était pas mon projet de départ, mais cela
me correspondait, j’étais un vrai geek, dès l’enfance. J’ai ainsi été chef de
rubrique chez PC Team, un magazine à présent disparu. L’écriture d’articles
avait commencé à me lasser au moment même où le secteur de la presse
spécialisée mensuelle s’effritait dangereusement. L’écriture de romans, en
revanche, me passionnait de plus en plus. Histoire de vases communicants, sans
doute.
J'aime
concevoir des univers ayant leur cohérence intrinsèque, qu'il s'agisse
d'univers de science-fiction, de fantasy ou fantastiques (ou un peu des trois).
Ils doivent avoir leur personnalité propre, l'un des meilleurs modèles en ce
domaine étant vraisemblablement Dune, de Franck Herbert. Dans mes
histoires, j'essaie d'imprimer un certain rythme de lecture, de ménager une
tension dramatique et émotionnelle. Je considère que la littérature est l'un de
ces domaines où l'on est en apprentissage toute sa vie. Je m'efforce
d'améliorer chacun de mes ouvrages, de tirer parti de mes erreurs.
3/ Qui t’as donné le goût de la
lecture et de l’écriture ?
Le
goût de la lecture de romans m’a été transmis par ma mère, et celui de la
lecture de BD par mon père. Après son travail à Air France, il est devenu
illustrateur industriel indépendant. Il adorait les BD (notamment la
Franco-belge) et nous avions une cave remplie d’albums. J’y ai passé pas mal de
temps, à vrai dire. Je me suis aperçu par la suite que cette influence avait
donné un côté assez visuel à mon écriture. Pour les romans, je crois que ma
première véritable révélation a été Stephen King, même si je lisais déjà
beaucoup avant de le découvrir. Mon tempérament réservé, à la limite de
l’asociabilité, me donnait envie le plus souvent de me retirer dans la lecture.
4/Comment t’es venue l’idée d’écrire
ce livre ?
Pour
l’instant, j’en ai écrit trois : deux romans et un recueil de nouvelles de
science-fiction. Pour le cycle en cours, Ardalia, c’était au départ une
commande non officielle d’un éditeur qui m’avait refusé un précédent roman. La
seule consigne qu’il m’avait donné, c’était « lâchez-vous ! », alors,
j’ai décidé d’écrire uniquement sur des créatures non humaines. C’était mon
défi de départ. Il existe des romans comme le cycle de Tschaï, de Jack
Vance, d’une très grande originalité et décrivant à loisir des créatures non
humaines, mais qui conservent un référent humain. Pour moi, ce devait donc
être, « larguez les amarres », plus d’humains, un univers différent,
avec des us et coutumes, une histoire et une géographie propres. Très vite, je
me suis demandé si je n’allais pas basculer dans l’expérimental. Or, mon but
était avant tout d’être lu. Je gagnais ma vie auparavant dans l’écriture, et
j’ai toujours préféré la littérature populaire à une prose que l’on pourrait
qualifier d’élitiste. J’ai donc, malgré tout, raccroché les wagons avec le
réel, en partant d’une idée très basique, les éléments, et en identifiant
chacun des peuples aux quatre éléments : air pour les hevelens, eau pour les
malians, terre pour les krongos, feu pour les nylevs. J’ai ensuite élaboré, en
me fiant à la part d’inconscient collectif qui est en moi, une mystique liée à
ces quatre éléments. Le dieu du vent est aussi celui du destin, la déesse de
l’eau celle de l’harmonie, celui de la terre est celui de la construction et de
la stabilité, celui du feu véhicule avec lui la destruction. Les artisanats
sont très présents, ce qui constitue un point d’ancrage supplémentaire.
5/ Qu’est-ce qui a été le plus dur à
l’élaboration du roman ? (les idées, les illustrations, l’éditeur …)
Les
relations avec l’éditeur ont sans conteste été mon expérience la plus
éprouvante, puisqu’il m’a refusé les trois premiers chapitres à une période
très difficile pour moi – je ne gagnais plus ma vie avec l’écriture d’articles
à cette période. Bien entendu, les éditeurs ne sont pas là pour faire de la
philanthropie, mais disons que les choses ne se sont pas passées dans le
respect, loin de là. Néanmoins, j’ai persisté en optant à terme pour
l’autoédition.
Autre
point délicat, la volonté que j’avais de rendre très abordable le roman, malgré
un référentiel (faune et flore, environnement) exotique. Il fallait que cet
univers devienne rapidement familier au lecteur. J’ai donc voulu créer des
néologismes évocateurs, comme les veguer’en, ces plantes qui se nourrissent de
vent dans les canyons où vivent les hevelens. J’ai bâti une sorte
d’encyclopédie parallèle, qui m’a servi de référentiel pour cet univers.
L’une
des vraies difficultés qui s’est posée en cours de route, c’est l’aspect
« visite touristique » du livre. Du moins avant que je ne le remanie.
Je me suis aperçu que j’avais tellement passé de temps sur l’univers que
l’histoire en elle-même en était reléguée au second plan. Il a fallu que je me
réapproprie le personnage principal et les différents protagonistes, que je
leur donne de la chair, de la vie, de la sensualité, que j’en apprenne
davantage sur eux en engageant une forme de dialogue, et de manière à rendre,
notamment, le personnage principal attachant. Il a aussi fallu que je rende
l’histoire imprévisible, en m’efforçant de me surprendre moi-même. Les
rebondissements devaient toutefois rester cohérents avec le reste, la condition
intrinsèque étant de ne pas insulter l’intelligence du lecteur. Tout cela s’est
fait à force de réécritures.
6/ Qui est le créateur des
illustrations sur ton livre ?
C’est
Thibaut Desio, un ancien graphiste d’Ubi Soft. Comme j’avais opté pour
l’autoédition, j’ai décidé de réaliser un rêve, celui de faire se rencontrer
mon univers avec celui d’un illustrateur, en finançant un concours
d’illustrations. Celui-ci a été un succès, et m’a permis de faire un peu de
buzz sur mon blog d’auteur. Il est bon de préciser une chose : bien qu’ayant
travaillé dans le même milieu, celui des jeux vidéo, Thibaut Desio et moi ne
nous étions jamais rencontrés auparavant. En fait, nous ne nous sommes même
jamais rencontrés dans la vie réelle, puisqu’il habite à Toulouse et moi à
Pontoise.
7/ Quelles ont été tes sources
d’inspirations ? (une musique, un film, un auteur …)
Le
Seigneur des Anneaux, de J.R.R.
Tolkien, a été une source d’inspiration incontestable pour l’aspect
« livre-univers ». Pour la personnalisation des personnages, mon
modèle était plutôt Robin Hobb, avec son cycle de l’Assassin Royal, et
Robert Jordan avec La Roue du Temps. Pour le style d’écriture, je
pencherais plutôt du côté de Stephen King. Je n’ai pas cherché à copier ces
auteurs, au contraire, je me suis efforcé de me détacher d’eux en m’inventant
une voix propre et en articulant un scénario original. Mais ils vivent en moi,
ainsi que beaucoup d’autres, et je ne peux nier leur influence. Il y a
certainement des musiques et des films qui ont joué. Oui, sans doute Star
Wars.
8/ Est-ce que le mythe de la page
blanche existe-t-il vraiment ?
Pas
pour certains auteurs. En ce qui me concerne, il m’est arrivé de me retrouver
« à sec ». Mais je crois que ce mythe relève avant tout d’une
angoisse propre aux auteurs, celle de ne pas être productif. Alors oui, j’ai
vécu cette angoisse, et je la revis de temps en temps. Avec l’expérience, et en
me connaissant davantage, j’ai compris que j’avais besoin d’un scénario de
base, chapitre après chapitre, pour avancer – pas trop précis non plus. Quand
je suis bloqué, c’est que je dois m’abandonner au rêve, ou si vous préférez, à
la conceptualisation. J’ai besoin que l’histoire et les personnages me disent
dans quel sens ils veulent aller, il me faut donc les interroger. Mais cela se
fait aussi en cours d’écriture.
9/ Combien de temps faut-il pour
écrire un roman de ce style ?
J’ai
jeté les bases du Souffle d’Aoles, premier tome du cycle d’Ardalia
en 2004, et je l’ai sorti en 2010. Entretemps, j’ai écrit le recueil de
nouvelles SF Espace et Spasmes, autoédité en 2006, puis réédité sous le
titre Les Explorateurs en 2009 aux éditions Lokomodo, puis de nouveau
autoédité depuis décembre 2011 – oui, c’est compliqué. L’écriture du premier
tome d’Ardalia aurait pu être plus resserrée. Disons que j’ai vécu pas
mal d’événements qui ont contribué à étirer les choses : naissance de ma fille
en 2005 puis de mon fils en 2007, changement d’orientation professionnelle, déménagement.
On ne peut dissocier l’écriture des événements de la vie, et ce fut une période
tumultueuse. L’écriture du deuxième tome Eau Turquoise, a été plus
rapide, ma vie s’étant stabilisée. Je l’ai sorti en avril 2011.
10/ Peux-tu nous dévoiler un petit
extrait de ton livre ?
Volontiers
: « La journée avait été éprouvante et Pelmen n’avait qu’une hâte, contenter
son estomac pour s’étendre de tout son long le plus tôt possible. Lorsqu’au
terme du repas Laneth lui fit un discret signe de tête, il fit celui qui
n’avait rien remarqué et gagna en grimaçant l’endroit où il avait posé ses
affaires – ses membres étaient si courbatus que le simple fait de les remuer
exigeait des efforts considérables. Il se laissa tomber comme une masse.
Paradoxalement, le sommeil tarda à venir, ce qui eut le don de l’agacer.
N’avait-il pas mérité le repos après une telle journée ? Quand enfin il
parvint à oublier ses douleurs et glissa dans l’abandon, quelqu’un s’évertua à
lui secouer l’épaule.
« Hé ! »
fit-il en clignant des yeux.
Les
étoiles brillaient dans le firmament ténébreux – plusieurs heures devaient
s’être écoulées – environnant la figure d’une jeune fille. Bien qu’encore
désorienté, il reconnut Laneth.
« Que
fais-tu ici ?
–
Comment ça ? Je viens te chercher bien sûr ! C’est ce qui était
convenu, non ? »
Pelmen
produisit un son qui tenait à la fois du bâillement et du gémissement.
« Je ne me rappelle pas t’avoir demandé de me réveiller au beau milieu de
la nuit.
–
Ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Je devais t’apprendre l’art de la
lutte, tu te souviens ?
–
Maintenant ?
–
Le plus tôt sera le mieux pour toi. Le trajet ne sera pas si long.
–
C’est Xuven qui t’envoie ? grommela-t-il.
–
Non. »
Pelmen
l’examina en ayant conscience que non loin, Ielun venait de remuer dans son
sommeil. Il poussa un soupir et se leva, davantage parce qu’il ne souhaitait
pas réveiller ses compagnons que pour toute autre raison.
Elle
le conduisit à une centaine de coudées de là, à proximité de plantes
odoriférantes. « Comment allons-nous faire ? marmonna-t-il en
réfrénant un nouveau bâillement. C’est à peine si je t’aperçois.
–
Justement, l’exercice est excellent. Tu vas devoir te fier à tes sensations.
Laisse ton corps trouver ses points d’équilibre. »
Pelmen
soupira derechef. En cet instant, le seul point d’équilibre de sa carcasse aux
membres douloureux se situait au plus profond de sa litière. »
11/ As-tu un roman en cours
d’écriture ?
Oui,
le troisième tome du cycle d’Ardalia. J’en suis au cinquième chapitre,
et ce roman devrait clore la trilogie. C’est un choix délibéré, de ne pas
partir sur un trop grand nombre de volumes, afin d’éviter l’essoufflement.
12/ Un petit mot pour tes lecteurs ou
futurs lecteurs ?
J’espère
que je saurais, le temps d’une histoire – voire plus si affinités – vous faire
sortir de votre quotidien, vous faire rêver et faire battre votre cœur un peu
plus vite. Ce serait un bel hommage aux romans que j’ai aimé et qui m’ont fait
le même effet.
Je voudrais remercier Alan du temps qu'il a pris pour répondre à mes questions.
Vous pouvez le retrouver sur sa page FACEBOOK
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